Livrée en châssis le 9 février 1956 aux ateliers Frua par Maserati, cette voiture en repart le 6 juillet pour recevoir son moteur et ses finitions. Elle est définie dans les archives de l’usine comme « moteur numéro interne 76, 2 bobines Marelli, berlinetta Frua 2-4 places, peinture noire et sellerie ivoire, instruments Veglia. » Elle est ensuite exportée en France et présentée le 2 août au service des Mines accompagnée d’une licence d’importation. Le même jour, elle est immatriculée 1007 FH 75, au nom de Jacques Fildier, rue Saint-Dominique à Paris. Architecte, il est lui-même grand amateur de voitures de sport anglaises et italiennes et compte notamment à son actif quelques Aston Martin. Il a commandé sa voiture auprès du garage Mirabeau, 71 avenue de Versailles, qui l’a récupérée auprès des Établissements Thépenier, importateur Maserati officiel et basé à Saint-Cloud. Une facture datée du 2 août 1956 adressée par Maserati à Jean Thépenier fait état d’une « vettura Frua, verniciata in colore nero, 3 carburatori Weber 36DO4 n. 836, 843, 850 » pour la somme de 2 500 000 Lire. La somme paraissant relativement modeste par rapport aux habitudes, il est probable qu’il s’agisse du châssis, la facture de Frua arrivant séparément.

Bien que déjà livrée et immatriculée par son nouveau propriétaire, la voiture, alors immatriculée 1007 FH 75, est exposée au Salon de Paris, sous la verrière du Grand Palais, en octobre 1956. Cette pratique n’était pas inhabituelle à cette époque où un constructeur comme Maserati produisait ses modèles de route au compte-gouttes, et où l’importateur n’achetait pas forcément avant d’avoir une commande ferme. En tout cas, un article de Giovani Lurani publié dans Auto Italiana du 30 octobre fait état d’une « Maserati GT 2 000 cc six-cylindres de teinte noire à finition luxe ».

Basée sur un châssis tubulaire léger, l’A6G/54 empruntait une série de caractéristiques à l’A6GCS, notamment un grand nombre de ses composants de freinage, de direction et de suspension éprouvés en course. Au cœur de la voiture se trouvait un superbe moteur six cylindres à double arbre à cames en aluminium que Gioacchino Colombo avait développé à l’origine pour la course. Afin de créer une voiture à double usage plus civilisée, l’ingénieur Maserati Vittorio Bellentani a modifié la conception d’origine, en mettant en place une lubrification par carter humide, des arbres à cames entraînés par chaîne et une commande de soupapes révisée.

Équipée de trois carburateurs Weber et disponible en option avec une culasse à double bouchon, l’A6G/54 était l’une des voitures de sport à deux litres les plus performantes de son époque.

Entre 1956 et 1959, la calandre est modifiée, peut-être à la suite d’un accrochage, avec la grille que la voiture porte encore aujourd’hui, plus fine et élégante que la calandre d’origine, un peu massive. Le 12 juillet 1957, elle est vendue à Marcel Chalas, un amateur demeurant avenue de Versailles, à Paris. On retrouve la voiture en mai 1959 sur une publicité pour « Rue de la Pink » et, le 17 décembre 1959, elle est vendue à Roger Baillon, garagiste à Paris dans le 19ème arrondissement. L’immatriculation changera plus tard, probablement lors de son immatriculation au nom de Jacques Baillon, pour 267 CMP 92, mais elle est restée dans la famille de 1959 à aujourd’hui, soit 55 ans entre les mêmes mains ! Il existe d’ailleurs dans les archives Maserati un courrier de Jacques Baillon datant de 2000, où il s’enquiert d’informations techniques sur la voiture.

Rappelons que ce modèle fait partie des toutes premières Maserati de route, la première étant l’A6 1500 de 1946. La production de cette dernière démarre doucement et 61 exemplaires sortent des ateliers avant qu’une version 2000 voit le jour en 1950. La diffusion est encore plus confidentielle et le moteur simple arbre manque un peu de puissance, si bien que Maserati améliore les choses avec un moteur à deux arbres à cames en tête et double allumage, mais avec la même cylindrée, pour l’A6G/54 (« A » pour Alfieri, « 6 » pour 6 cylindres, « G » pour ghisa, fonte, et 54 pour 1954). La puissance passe à 150 ch et comme la voiture est légère, elle atteint 200 km/h. La réalisation des carrosseries est confiée à Frua, Allemano et Zagato. Pinin Farina ne collabore plus avec Maserati depuis 1952, étant « occupé » par Ferrari, la marque concurrente. Entre 1954 et 1957, il sortira 60 exemplaires des usines Maserati, dont quatre berlinettes Frua dans le même style que la voiture de la vente, et deux coupés plus tardifs, dotés d’un avant plus proéminent. Frua a produit également quelques versions spider, tout aussi confidentielles.

Les Maserati A6G/54 et A6G/2000 sont à l’époque encore des voitures de sport radicales, directement dérivées de la compétition et réservées aux amateurs purs et durs. Mais elles vont assurer la transition entre le monde de la course et celui de la route : en 1957 sera lancée la 3500 GT, première Maserati de Grand Tourisme confortable sur laquelle se basera toute la lignée qui suivra et qui assurera le succès de la marque. En cela, l’A6G 2000 est un modèle qui représente un épisode majeur de l’histoire de Maserati.

La voiture présentée iciest donc tout à fait exceptionnelle. D’abord par le modèle qu’elle représente, rare, chargé de signification historique et présentant une technique sophistiquée, ensuite par sa carrosserie particulièrement fine et racée, et enfin par sa propre histoire et son appartenance à la même famille depuis 55 ans, tout en ayant gardé sa présentation d’origine. Elle constitue le meilleur exemplaire de ce modèle, disponible sur le marché.

Cette Maserati était garée aux côtés de la Ferrari 250 California depuis que la Belle de Maranello était entrée dans la collection Baillon en 1971. Il y a quatre ans, Jacques Baillon avait mis en œuvre le remplacement de l’embrayage. Il avait enlevé le tunnel de boîte mais il n’avait pas eu le temps de finir le chantier. Cette sublime Maserati, historique, toujours équipée de son moteur d’origine, se trouve donc dans son plus pur état d’origine, jamais restaurée.

Cette auto (châssis 2140) est l’un des 4 exemplaires carrossés par Frua.

Adjugée 1 962 400 € (2 200 000 $) en 2015 à Paris, elle est estimée entre 2 500 000 et 3 250 000 $